Page 11 - boite de pandore aperçu
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l y a huit mois environ, un de mes amis, Louis R..., avait
                    Iréuni, un soir, quelques camarades de collège ; nous bu-
                 vions du punch et nous fumions en causant littérature, peinture,
                 et en racontant, de temps à autre, quelques joyeusetés, ainsi que
                 cela se pratique dans les réunions de jeunes gens. Tout à coup
                 la porte s’ouvre toute grande et un de mes bons amis d’enfance
                 entre comme un ouragan.

                    – Devinez d’où je viens, s’écria-t-il aussitôt.
                    – Je parie pour Mabille, répond l’un.

                    – Non, tu es trop gai, tu viens d’emprunter de l’argent,
                 d’enterrer ton oncle, ou de mettre ta montre chez ma tante,
                 reprend un autre.

                    – Tu viens de te griser, riposte un troisième, et comme tu
                 as senti le punch chez Louis, tu es monté pour recommencer.
                    – Vous n’y êtes point, je viens de P... en Normandie, où j’ai
                 été passer huit jours et d’où je rapporte un grand criminel de
                 mes amis que je vous demande la permission de vous présenter.

                    À ces mots, il tira de sa poche une main d’écorché ; cette
                 main était affreuse, noire, sèche, très longue et comme crispée,
                 les muscles, d’une force extraordinaire, étaient retenus à l’inté-
                 rieur et à l’extérieur par une lanière de peau parcheminée, les
                 ongles jaunes, étroits, étaient restés au bout des doigts ; tout cela
                 sentait le scélérat d’une lieue.

                    – Figurez-vous, dit mon ami, qu’on vendait l’autre jour les
                 défroques d’un vieux sorcier bien connu dans toute la contrée ;
                 il allait au sabbat tous les samedis sur un manche à balai, pra-
                 tiquait la magie blanche et noire, donnait aux vaches du lait
                 bleu et leur faisait porter la queue comme celle du compagnon
                 de saint Antoine. Toujours est-il que ce vieux gredin avait une
                 grande affection pour cette main, qui, disait-il, était celle d’un
                 célèbre criminel supplicié en 1736, pour avoir jeté, la tête la


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